Nature, Autonomie, Préhistoire, Savoir-faire ancestraux

Fabriquer une gourde en écorce

Comment réaliser, avec des ressources directement accessibles dans la nature, un contenant étanche à l’eau ? Dès lors que l’on cherche à contourner l’utilisation de matériel moderne, la question se pose assez rapidement.

Car, hélas, de nos jours, rares sont les occasions où se pencher sur le premier cours d’eau venu suffit à étancher notre soif en toute sécurité. La pollution est malheureusement omniprésente et s’infiltre jusque dans les nappes phréatiques…quand il y reste seulement de l’eau. D’où l’intérêt de savoir comment la transporter.

Parmi les matières naturelles à notre disposition et pouvant convenir à cette fonction figurent les bois non-toxiques (une fois évidés), certaines matières animales (peau, vessie, corne, coquillage…), la céramique, ou encore, dans une plus large mesure, n’importe quel récipient étanchéifié à l’aide d’un mastic non soluble dans l’eau, telle la résine, la cire d’abeille ou le goudron végétal. En ce qui nous concerne, dans le but de façonner une gourde, nous allons recourir à un matériau tout aussi formidable que ceux sus-cités : l’écorce.

Choisir son écorce

Pour pouvoir la travailler correctement, notre écorce devra être suffisamment fine et régulière pour être malléable, et capable de plier sans déchirer. C’est pourquoi toutes les essences ne se prêtent pas à cet ouvrage. Parmi les espèces qui fonctionnent bien, nous pouvons citer le merisier, l’épicéa, le saule, l’orme, le frêne, le tilleul, le châtaigner, le peuplier et, bien sûr, le bouleau. Cependant, la qualité de l’écorce n’est pas égale d’un individu à l’autre, l’âge et les conditions de pousse étant déterminants (sol, environnement, climat …).

Il nous faudra ainsi commencer par repérer – dans une essence adaptée – une belle section d’écorce, sans départ de branche et aussi lisse que possible, permettant de sortir une plaque d’environ 30×40 cm.

Il est intéressant de noter qu’un environnement froid joue un rôle significatif sur l’épaisseur des écorces. Ainsi, pour une même espèce, les populations croissant à haute altitude / latitude présentent systématiquement des écorces plus épaisses que leurs homologues des climats plus tempérés. Dans le cas du bouleau, ce phénomène est aussi synonyme de plus facilement exploitable pour ce genre de projet.

Prélever l'écorce
Coupe transversale d’un tronc

Ce que l’on appelle « écorce » est constitué d’une partie externe, le périderme, qui joue le rôle d’enveloppe protectrice (comme la peau chez nous) et d’une partie interne, le liber, où circule la sève élaborée. Le cambium est le tissu de croissance qui produit le liber d’un côté, et l’aubier de l’autre. C’est dans l’aubier que circule la sève brute. Ensuite vient le bois de cœur, appelé duramen qui assure une fonction de soutien. Lors du prélèvement de l’écorce, tant que le liber est préservé, l’arbre, bien qu’affaibli a de grandes chances de repartir. Néanmoins, il n’est pas toujours possible d’obtenir une matière utilisable sans prélever le liber…

Pour extraire convenablement l‘écorce, plusieurs possibilités s’offrent à nous.

La première fonctionnera toujours, quelle que soit l’espèce ciblée. Il s’agit de sévir quand l’arbre est en sève, et si possible au printemps, quand son afflux est au plus haut. À ce moment, l’écorce se décolle très facilement au niveau du cambium et il suffit alors de pratiquer les incisions adéquates jusqu’à atteindre cette couche du tronc. Puis, en s’aidant d’un petit outil taillé en biseau, on fait levier pour décoller progressivement l’écorce, en faisant bien attention à ne pas la déchirer. Il faut être conscient que cette méthode implique, a minima, de blesser l’arbre ; voire de le tuer directement (pour peu que la portion d’écorce décollée fasse le tour du tronc) ou indirectement (affaiblissement général, porte ouverte aux potentiels pathogènes).

La deuxième option ne fonctionnera qu’avec certaines essences (bouleau, merisier, épicéa), dont les écorces, riches en composés antibactériens et antifongiques, se décomposent moins vite que le bois. Dans leur cas, il devient possible, en procédant de la même façon, de récupérer sans mal les écorces une fois que l’aubier a commencé à pourrir, quelques années après la mort de l’arbre.

Sur un bouleau mort, l’aubier (qui part en poudre ici) se dégrade plus vite que l’écorce et facilite ainsi son décollement

Sur le bouleau, il est également possible de décoller seulement les couches superficielles de l’écorce (avant d’atteindre le liber), et ainsi ne pas toucher aux systèmes vitaux de l’arbre. Malheureusement, cette technique ne permet pas d’obtenir des plaques suffisamment épaisses pour notre usage avec les bouleaux présents sous nos latitudes.

Pas à pas

Une fois que l’on a réussi à obtenir une plaque d’écorce d’environ 30x40cm, on peut, soit la travailler aussitôt, soit la faire sécher bien à plat, en contrainte. Si elle n’est pas maintenue en place par des poids par exemple, l’écorce va se retrousser en séchant, s’enroulant face externe à l’intérieur.

Voici comment procéder pour transformer notre matière brute en un bel objet à la fois fonctionnel et durable.

1. Face extérieure, gratter les éventuelles irrégularités pour obtenir une surface et une épaisseur relativement homogènes.

Égalisation de l’épaisseur à l’aide d’un grattoir en silex

2. En vous aidant au besoin d’une ficelle et d’un morceau de charbon, effectuez les tracés de votre future gourde. Pour ce faire, déterminez d’abord le centre des grands côtés du rectangle et reliez-les par une ligne partageant la plaque d’écorce en deux. Déterminez le centre de cette ligne et dessinez un « œil » tout du long : ce sera le fond de la gourde. Déterminez ensuite le centre de chacun des petits côtés du rectangle et laissez une marge d’environ 5 cm de part et d’autre de ces points : une fois rabattus l’un sur l’autre, ils formeront le goulot. Dessinez les courbes reliant les extrémités du fond à chacun des côtés du goulot correspondants.

Traçage de l’« œil », qui déterminera le fond de la gourde // Repérage du centre sur chaque petit côté du rectangle qui formeront la base du goulot // Tracé des montants de la gourde, depuis le fond jusqu’au goulot (5 cm de part et d’autre du centre des petits côtés)

3. Grattez superficiellement sur le tracé de l’œil pour marquer le fond de la gourde. L’objectif est d’affaiblir légèrement l’écorce en ce point précis pour lui permettre d’éviter de rompre en pliant.

Marquage du fond de la gourde (œil) par léger rainurage à l’aide d’un burin en silex. C’est à ce niveau là que les contraintes de pliage sont les plus importantes.

4. Découpez les quatre coins selon les courbes reliant les côtés du goulot au fond de la gourde.

Découpe des quatre coins, de la base du goulot au fond de la gourde // Le patron de la gourde. Il ne reste plus qu’à plier et coller !

5. Fabriquez le goulot. Il s’agit d’obtenir un tube en bois végétal, animal, ou en os. Si vous optez pour du bois (ici une section de sureau), anticipez le retrait en laissant sécher avant de l’intégrer à la gourde. Façonnez un bouchon en ajustant le diamètre d’une baguette de bois à celui du goulot.

Écorçage d’une section de sureau à l’aide d’un lissoir en os // Sciage et façonnage du futur goulot // Rempli de moelle, le sureau s’évide facilement à l’aide d’une simple baguette de bois // Creusement d’une gorge sur le goulot en sureau en vue d’y attacher une ficelle pour ne pas perdre le bouchon

6. Faites chauffer la colle pour la liquéfier. L’une des recettes possibles est d’associer deux parts de résine pour une part de cire d’abeille. On peut ajouter également un peu d’ocre ou de charbon de bois en poudre pour épaissir et colorer le mélange. Pour un travail soigné, attendez que la colle soit parfaitement fluide avant de l’administrer (attention, risque de brûlure!).

7. Collez d’abord l’une des deux extrémités de la plaque d’écorce sur le goulot en l’appliquant à partir de son centre (normalement repéré avec du charbon). Rabattez ensuite le côté opposé en marquant bien les plis au niveau de l’œil. Collez au fur et à mesure l’écorce sur elle-même, depuis le fond de la gourde jusqu’au goulot. Manipulez avec précaution, car l’écorce est susceptible de se fendre facilement sur les bords. Si vous débordez un peu et souhaitez corriger le tir pour un rendu plus esthétique, attendez que la colle soit parfaitement sèche (et froide) avant de commencer à la gratter.

Application de la colle chauffée (et donc fluide) en vue d’y placer le goulot // Collage du goulot sur le premier côté. Il faut maintenir la pression avec les doigts quelques secondes pour laisser le temps à la colle de sécher // Rabattage de la deuxième moitié de l’écorce. On veillera à bien marquer les plis au niveau du fond (œil) // On poursuit le collage en commençant par le fond (coins) et en poursuivant jusqu’au goulot // Une fois la gourde mise en forme, on prend soin d’enduire de colle les zones où l’écorce se superpose // Grattage des bavures de colle une fois cette dernière froide et parfaitement sèche

8. Assurez-vous de l’étanchéité de la gourde en ajoutant, au besoin, des points de colle au niveau des éventuelles fuites.

Le fond de la gourde. De la colle a été appliquée au niveau des points faibles susceptibles de fuir

9. Votre gourde est prête ! Pour les finitions, vous pouvez ajouter des petits renforts dans les coins (ici des onglons de cerf) et mettre au point un système de portage (ici en buckskin de cerf).

Détail sur un onglon de cerf rapporté sur le fond de la gourde dans un but à la fois esthétique (chacun ses goûts!) et comme pièce de renfort // Système de portage en buckskin de cerf

Pour aller plus loin

Les écorces constituent indéniablement un matériau de choix en terme de vannerie sauvage. Comme on vient de le voir, elles peuvent facilement être utilisées en larges plaques pour former, selon le patron, diverses réalisations telles que gourdes, boîtes, carquois et autres contenants par simple collage ou couture. Il est également fréquent d’en découper des lanières pour les intégrer dans des vanneries à nappes pour réaliser des accessoires variés parmi lesquels paniers, chaussures, couvre-chefs, sacs, fourreau… Le liber de certaines espèces (tilleul, orme, saule, peuplier…) fournit également des fibres employées en corderie et pour la réalisation d’étoffes cordées.

Mais leur intérêt ne s’arrête pas à la vannerie. Si vous avez opté pour l’écorce de bouleau, de merisier ou d’épicéa : gardez vos chutes. Par pyrolyse (combustion sans oxygène), vous pourrez en extraire du brai, lequel pourra vous servir, entre autres, à coller et imperméabiliser vos prochains récipients !

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